Connexions Solidaires. Vous avez pris connaissance de notre étude sur l’accès au numérique des personnes en situation d’exclusion, quelles sont vos premières réactions ?

Serge Laurens. Oui, nous avons pris connaissance des chiffres publiés par Emmaüs Connect et ils sont intéressants car ils mettent en évidence un phénomène dont on parle depuis 25 ans : la fracture numérique. A l’époque, on parlait des pays connectés et des pays non connectés, mais nous observons aujourd’hui ce phénomène dans les pays dits « connectés », qui possèdent pourtant toutes les infrastructures nécessaires pour permettre l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Le problème des prix – le numérique n’est pas abordable pour tout le monde, et encore moins pour les personnes sans ressources – et de la compréhension même de la culture numérique viennent creuser cette nouvelle forme d’exclusion. Ainsi, votre étude révèle que 35% des personnes vivant sous le seuil de pauvreté n’utilisent jamais internet, alors même que l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication est un droit fondamental.

CS. De la recherche d’emploi aux démarches administratives, tout se fait sur internet aujourd’hui. Le numérique est donc un outil indispensable dans un parcours d’insertion réussi, mais aussi pour avoir recours à ses droits… Or, l’accès au numérique pour les personnes vivant sous le seuil de pauvreté est encore trop souvent considéré comme un luxe…

Florent Gueguen. Oui, très clairement, il y a une sorte de paradoxe. L’État et les institutions sociales utilisent de plus en plus le numérique pour faciliter l’accès au droit et réduire le taux de non-recours – via des simulateurs de droit sur internet par exemple, ou par la mise en place d’un coffre-fort numérique – alors même que beaucoup de personnes restent privées de l’accès au numérique, pour des questions de ressources, ou par manque d’accompagnement. Cela veut dire que si l’État souhaite s’appuyer sur le numérique pour améliorer l’accès au droit, il doit en parallèle donner aux personnes la possibilité d’avoir un accès individuel et la capacité de l’utiliser. Pour l’instant, ce constat n’est intégré ni par l’État, ni par les collectivités locales. Le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté projette d’installer des bornes d’accès aux droits, y compris dans des lieux d’accueil de personnes très en difficulté, comme les accueils de jour ou les CHRS. A la FNARS, nous ne sommes pas contre, mais nous nous méfions des fausses bonnes idées qui consistent à créer des outils sans prévoir d’accompagnement. Les deux sont complémentaires.

S.L. Pour se débarrasser de cette idée selon laquelle l’accès au numérique est un luxe, nous devons garder à l’esprit plusieurs principes. Premièrement, et je le répète, le droit à l’information et à la communication est un droit fondamental. Par ailleurs, et comme vient de le souligner Florent Gueguen, un autre principe important est celui de l’accessibilité. Enfin, l’accès au numérique doit être collaboratif, avec des personnes qui accompagnent ces démarches. Car aujourd’hui nous vivons un paradoxe numérique terrible : les personnes en difficulté sont invitées à un diner dans lequel elles ne peuvent toucher à rien. Ce, alors même que le numérique est à la fois un besoin et une solution. Pour remédier à cette situation, comme à l’époque on a lutté contre l’illettrisme, on doit aujourd’hui mettre en place un plan national dalphabétisation digitale.

 

Si l’État souhaite s’appuyer sur le numérique pour améliorer l’accès au droit, il doit en parallèle donner aux personnes la possibilité d’avoir un accès individuel et la capacité de l’utiliser.

 

C.S. Justement, quel est l’état des lieux du numérique dans les centres d’hébergement en France?

S.L. Par rapport à l’utilisation personnelle, je crois que l’on doit mener une politique similaire à celle de la tarification progressive menée pour les transports publics. Une personne en difficulté devrait avoir le droit à un forfait progressif, qui s’adapte à ses difficultés. Quant à l’enjeu de l’accompagnement des personnes hébergées, on pourrait imaginer des cybers volontariats, à la fois pour former les professionnels à l’accompagnement numérique, et pour que les personnes accompagnées apprennent à utiliser ces outils en ligne. Car l’assistance sociale travaille souvent dans l’urgence et, au-delà d’une question de culture numérique, n’a pas le temps de se pencher sur la question numérique qui n’entre pas dans ses priorités.

A la FNARS, nous pensons que l’accès au numérique devrait être intégré dans chaque projet social d’établissement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

 

F.G. Quand je visite des établissements, je constate très souvent des lieux collectifs où l’accès à internet est possible, mais avec un nombre de postes limité et pour une durée limitée également. Très peu de centres d’hébergement permettent une utilisation d’internet dans sa chambre, quand on le veut. On est donc plus dans le cas d’une utilisation collective que dans un véritable accès individuel au numérique, or il faudrait dépasser ce stade-là. L’objectif doit être l’accès individuel et libre. A la FNARS, nous pensons que l’accès au numérique devrait être intégré dans chaque projet social d’établissement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Alors ça nécessite un financement, mais qui n’est pas nécessairement excessif en terme budgétaire. Nous encourageons également à ce que le travail social s’adapte à cette demande nouvelle, et qu’un accompagnement au numérique soit proposé aux personnes en difficulté lorsqu’elles le sollicitent.

Sur le même sujet : un article de Serge Laurens, membre de la FNARS Rhône-Alpes et du Groupe d’Appui National Participation.